Je suis entrée à l'Église de scientologie de Québec et voici ce qui est arrivé
Élodie Déry
vendredi 11 octobre 2019 06:22
Mardi AM, ciel gris, j’ai le cœur qui débat à l’idée d’entrer derrière les portes de l’énorme local de l’Église de scientologie de Québec. Que vais-je inventer lorsqu’on me demandera ce que je fais là? Trop tard, je trouverai une réponse en temps et lieu. Je dois entrer, il se met à pleuvoir.
Un homme au début de la quarantaine se présente d’un ton très amical. C’est Vince. Il est entièrement vêtu de noir, inspire la confiance.
«Qu’est-ce que je fais ici? Je ne sais pas vraiment… je suis curieuse, simplement! Je passe devant vos locaux depuis des années et j’ai envie de savoir ce qui s’y passe.»
Voilà, c’était pas compliqué!
Il me guide vers de grands murs tapissés de téléviseurs et d’affiches explicatives. Partout, à des centaines d’exemplaires, est en évidence le livre La Dianétique, la puissance de la pensée sur le corps de L. Ron Hubbard. «Lui, ce n’est pas un dieu», m’explique Vince, en précisant que la scientologie n’est pas un dogme. Il est le fondateur de la scientologie, une philosophie de vie.
Je me retrouve assise devant un écran de télé pour qu’on m’explique dans une vidéo théâtrale qui me fait penser aux publicités as seen on TV ce qu’est la Dianétique. Selon L. Ron Hubbard, notre mental serait divisé en deux parties. D’abord, il y aurait le «mental analytique», qui est conscient à tout moment, et le «mental réactif». Se cacheraient dans ce dernier tous mauvais souvenirs, toutes douleurs, tous ces sentiments nocifs dont on ne se souvient plus. Pour trouver le bonheur et s’émanciper pleinement, il s’agirait d’aller chercher ce qui se cache dans notre mental réactif et de le faire remonter dans notre conscient.
… Euh vraiment? Le bonheur, c’est aussi simple que ça? Je suis là, assise et pas convaincue du tout.
Et ça, c’est ce que j’ai compris en quelques lignes. Mais le livre de 38$ qui m’a été vendu assez rapidement contient plus de 500 pages.
«Le libéré de Dianétique est comparable ou supérieur à un niveau normal courant. Il existe la même différence entre le Clair du Dianétique et un individu dans la norme qu’entre un individu d’un niveau normal et courant et quelqu’un atteint de démence.»
La Dianétique, la puissance de la pensée sur le corps, L. Ron Hubbard, Résumé, page viii
Ce passage confirme ce que je ressens à plusieurs reprises dans mes conversations avec Vince : ils se sentent supérieurs. Et ça, je l’avoue, ça me refroidit.
Quelques minutes et un café gracieusement offert plus tard, ça a l’air que Vince m’aime bien et m’offre une séance d’introduction à la Dianétique gratuite! (Oh wow, je dois être spéciale…ou pas!) On prend rendez-vous ensemble 48h plus tard. Et c’est là que je comprends que c’est pris très au sérieux : d’ici là, je ne dois pas prendre de médicament ou de drogue, même pas de tylenols/advils en plus de bien manger et dormir!
OK… dans quoi je m’embarque, là?
Jeudi AM, ciel toujours aussi gris. Une scientologue dans la vingtaine distribue des tracts informatifs. Elle m’en tend un, que je refuse en lui offrant un des rares sourires qu’elle recevra sur le trottoir cette journée-là. Il faut dire que la visite semble plutôt rare dans cette énorme bâtisse de 45 000 pieds carrés sur trois étages de la rue St-Joseph, puisque je n’y ai croisé aucun curieux pendant mes deux visites.
Vince est là, il me présente à Paul, qui fera mon «audition».
Paul est un homme d’un âge suffisamment avancé pour que je ne puisse pas deviner sa couleur de cheveux d’antan. Sous sa moustache aussi blanche que ses cheveux, un sourire gêné m’invite à le suivre. Je circule dans les corridors de l’énorme local, passant à côté d’une chapelle et d’un petit café. Au sous-sol, des dizaines de bureaux, une impressionnante salle de cours et de nombreux tableaux sur les murs répertoriant les différents départements et la hiérarchie de l’église/entreprise. Laissez-moi vous dire que c’est propre et luxueux!
Au fond de ce labyrinthe, une petite pièce où je me retrouve assise en tête-à-tête avec Paul. Nous sommes seuls. Médicaments? Non. Maladie mentale? Non plus. Il ne me fait pas signer de décharge ou encore de document qui assure que ce que je lui raconterai sera confidentiel.
C’est parti. Il me demande de fermer les yeux. L’heure et demie qui suit me transporte à différentes époques de ma vie. Mon auditeur me demande d’abord de lui raconter un moment heureux récent, avec le plus de détails possible, ce que je fais. Il n’intervient pas, sauf pour me demander à la fin de mon récit de recommencer en mentionnant tout nouveau détail qui me vient en tête. J’y vais. Puis une troisième… et toujours, il ne dit rien! Il prend des notes.
On tente le même exercice, cette fois avec mon souper d’hier. Eh boboy… est-ce que je suis vraiment en train de raconter mon pad thaï du mercredi à un inconnu dans un sous-sol? Où s’en va ma vie?
Ah, voilà! Du croustillant. Il me demande de lui raconter la première fois où quelqu’un autour de moi est décédé. Une fois, deux fois, trois fois, les émotions remontent.
Des détails que je croyais complètement effacés de ma mémoire ont ressurgi. De la météo aux vêtements que je portais cette journée-là, en passant par les réflexions d’enfant qui me passaient par la tête, j’ai pu dessiner un portrait beaucoup plus clair que je l’aurais cru possible de ce qui est arrivé il y a plus de 20 ans. Oui, j’ai pleuré. Je ne croyais pas verser de larmes à nouveau dans ma vie pour ce deuil! Il est alors évident que quelqu’un qui a «une crotte sur le cœur» pourra facilement vider une boîte de mouchoirs ou deux!
On me fait raconter d’autres moments, en revenant vers des sentiments plus positifs, et je peux enfin ouvrir mes yeux, une heure trente plus tard. Je suis vidée d’énergie. J’ai envie de dormir.
Je retrouve Vince en-haut et j’essaie de garder ça court puisque je sais qu’il voudra me proposer de revenir. Je lui fais part de mon scepticisme, mentionnant que je doute que j’aie besoin de ce genre de séance pour me sentir mieux dans ma vie. À chaque point que j’apporte à la conversation, il a un argument, une réponse, bien prémâchée. Je trouve une excuse (par chance, il y a des parcomètres sur St-Joseph) et quitte en vitesse.
Le reste de la journée, mon expérience me joue dans la tête. Des informations bien personnelles, ainsi partagées, n’ont d’autre choix que de rendre quelqu’un vulnérable. Ce n’était qu’une introduction! Des gens paient une fortune pour cumuler les auditions et accéder au titre de «Clair».
Ça me donne des frissons de croire qu’il existe une voûte sur St-Joseph où les deuils, les peurs, les agressions, les traumatismes des gens sont classés…
Pour créer des «libérés», vraiment?